Dans les annés 70-80, nous ouvrions fébrilement chaque mois le Vogue pour découvrir les dernières séries d’Helmut Newton et de Guy Bourdin. Mais c’est l’univers de ce dernier qui s’imposait par ses cadrages sur des doubles pages et la singularité des mises en scène.
Guy Bourdin apprit la photo pendant son service militaire, et se consacra d’abord à la peinture sous le pseudonyme d’Edwin Allan. En 1952, il obtint une préface de Man Ray pour le catalogue réalisé à l’occasion de l’exposition de ses œuvres à la Galerie 29 à Paris.
A partir de février 1955, Guy Bourdin devient l’un des principaux photographes de mode du Vogue français. Au début des années 60, il perfectionne son travail graphique. Autour de 1967, son intérêt premier pour la peinture et son expérience de la photographie de mode convergent et le conduisent à s’inspirer des peintres surréalistes, Giorgio De Chirico, Yves Tanguy, Paul Delvaux. Durant cette même année 1967, Guy Bourdin crée les visiuels des campagnes de publicité de Charles Jourdan. Mais ce sont les parutions dans le Vogue français de 75 à 85 qui furent les plus marquantes.
Ses mises en scène montées de manière méticuleuse s’imposaient par leur cadrage, leurs couleurs, l’emploi du Kodachrome 25. Ses photographies, réalisées la plupart du temps pour une double page étaient effectuées sans trucage, et nécessitaient une mise en place extrêmement minutieuse. Pour que l’impact de ses clichés fût le plus fort, il faisait notamment tendre à l’extrême par ses assistants les toiles cirées aux couleurs tranchantes qui servaient au décor.
Son travail s’appuyait aussi sur l’utilisation systématique de polaroïds, afin de vérifier point par point la précision des mises en scène.
Au besoin, des polaroïds en grand format 4-5 inches devenaient eux-mêmes éléments de la mise en scène. Il les intégrait dans un jeu baroque de mise en abîme qui dupliquait la lecture d’une image déjà complexe. D’aucuns pourraient y voir le souvenir d’une tradition chère aux surréalistes, premiers travaux sur papier de René Magritte ou collages de Man Ray.
Toutefois on ne saurait limiter l’approche de l’univers de Bourdin à ces rappels. Il provoquait, déconstruisait systématiquement les clichés qui avaient figé la photo de mode dans un non-être éthéré. La femme qu’il mettait en scène, fardée intégralement par Heidi Morawetz, révèlait un univers mystérieux et troublant, parfois traversé par un enfant ou visité par des petites filles maquillées comme des femmes et vêtues de haute couture. Et l’intensité émotionelle de chaque photo, chargée d’intemporalité, tient peut-être à tous ces accessoires de mode, dont le rôle mineur paradoxal impose une femme indépendante et lucide, souvent maltraitée, ni mièvre, ni glamour, dramatiquement présente, éblouissante.
Guy Bourdin vécut pénétré de ses convictions, exclusivement absorbé par la création de cet univers si particulier. Peu de temps avant sa mort en 1991, il gagna une reconnaissance, en tant qu’artiste photographe, Livre édité par Phaidon, l’auteur, Alison M. Gingeras, reprend en 53 images ce parcours créatif hors normes d’un artiste qui refusa de son vivant de monter des expositions photos et d’éditer des livres sur son travail.
Texte de Jean Cousin.