Né à Chicago en 1942 dans une famille polonaise, Stuart Dybek livre dans ce recueil, Les Quais de Chicago, 14 nouvelles sur le Chicago populaire des quartiers polonais ou mexicain. Sous sa plume surgit toute la poésie, toute la vie de ces quartiers pauvres du Chicago d’alors où haut et l’auteur, avec ses amis, découvre le monde. C’est un monde rude, ignoré des beaux quartiers, un monde également de haine larvée, de folles escapades, et où malgré tout vibre un incroyable amour de la vie. Dans ce recueil foisonnant de personnalités attachantes, il est possible de retrouver, saisis à travers le prisme de la pauvreté, tous les mythes qui ont fait les États-Unis. C’est avec « Rue Farwell » un hommage rendu à un ami russe mystérieusement disparu. « Les Capsules » relatent les jeux et les collections émouvantes des enfants de ce Chicago- là. C’est aussi la vision de l’Amérique avec ses angoisses, et dans « Blight » les ruses trouvées par le jeune étudiant pour échapper à la guerre de Corée. Ce sont les ambitions, et les espoirs , les amours sur fond de jazz ou de rock and roll, souvent interdites comme dans « Chopin en hiver ».
C’est une vie sous le signe de la précarité, des offres d’emploi, des entretiens d’embauche, de la précarité. Un univers traversé de personnages inquiétants, comme dans « Les oiseaux de nuit », la silhouette du type qui tourne le dos à la fenêtre, dont l’ombre portée de son chapeau , les épaules voûtées découragent toute conversation. Mais ce recueil de nouvelles est bien plus qu’une série de courtes histoires. Chaque personnage acquiert une densité grâce à une phrase qui s’attache à décrire autant qu’à relater sans grandiloquence. Dans « Blight » Stuart Dybek campe le personnage de Ziggy en narrant autant ses actions que ses visions étranges. Mais il y a aussi un véritable art d’une description qui donne à voir et à sentir ce Chicago des années 50 et 60 avec ses monstres, ses héros, ses femmes sensuelles. Progressivement les nouvelles deviennent plus noires, les personnages deviennent des héros maudits comme Pancho. Pas de morale, pas de jugement dans ces nouvelles, seulement un hymne sobre à l’amitié, à une vie dure, avec des plaisirs bien éloignés d’une Amérique à paillettes. C’est au contraire l’Amérique des oxymores et de la glace chaude.
Reconnu par le prix O’Henry, qui distingua avant lui William Faulkner, Truman Capote ou Raymond Carver, Stuart Dybek dans Les Quais de Chicago évoque cette américaine d’immigrants, une Amérique qui subit les mutations, et construit ses mythes et ses légendes à niveau d’homme. Ces visions sont intimistes et pénétrantes. La phrase vibre d’une poésie fulgurante, comme lorsqu’il commence une nouvelle par ce trait surréaliste : « UN BAISER TRAVERSE LA VILLE, sur la vitre d’un tramway qui projette des gerbes d’étincelles bleues le long d’une voie fantôme(…) un baiser traverse la ville par une vie nuit pluvieuse ».
Les Editions finitude font découvrir, avec la traduction ciselée de Philippe Biget, un romancier américain qui transcende le réalisme.
Stuart Dybek, Les Quais de Chicago, traduit par Philippe Biget, Editions Finitude.
Dominique Grimardia
Forks magazine © Forks 2014