LOUIS I, LOUIS II, LOUIS III, … LOUIS XIV, pas aussi évident!

Tout  semble si logique dans la numérotation des rois de France, si évident… inéluctable. Cette numérotation si rigoureuse s’impose par sa simplicité, une simplicité d’autant plus évidente qu’ en dépit de 15 siècles nous ne devons compter que jusqu’à  dix-huit. Sans dépasser la vingtaine, voici reconstituée toute l’histoire de la royauté française.

Edifiant!  A moins que,  sous couvert de simplicité ces nombres ne constituent qu’un beau mensonge,  à tout le moins une illusion.  Paradoxe des temps modernes, alors que l’histoire a acquis le statut de science, la numérotation des lignées royales n’avait jamais été étudiée ni analysée jusque’ à ce que Michel-André Lévy n’ y vît matière à investigation.

L’un des éléments premiers qui a fondé la pérennité de dynasties  n’avait encore jamais été soumis à une analyse historique, ni remis en question. Ironie de l’histoire, à moins que ce numéro ne soit, lui aussi, qu’un beau mensonge…  llusion, tradition, innovation, la numérotation des rois de France recèle maintes surprises, et déchiffrer les arcanes de cette succession de nombres symboliques révèle une fascinante construction de l’image de la royauté française. L’ Historia Regum Francorum, l’ Histoire des Rois Francs, écrite au VIII è siècle, qui retrace leur règne ne comporte aucun numéro. Le puriste oubliera  donc les Clothaire , Théodebert, Siegebert, Thierry I et II,  et mêmeTheodebald I qui n’eut jamais de second,, transmis par les manuels.

C’est Adémar de Chabannes (989-1034) qui initie ce système dans sa chronique qui parcourt l’histoire des Francs depuis leurs origines troyennes. Cet historien utilise la numérotation pour présenter  la dynastie des rois de la Francie Orientale. Et ainsi parurent Othon I, (936-973) Othon II ( 973-983), Othon III 983-1002), le grand-père, le fils et le petit-fils. Mais un siècle plus tard chez Lambert de Saint Omer, seuls Dagobert I et II ont droit à la numérotation  dans Le Catalogue des Rois. La numérotation reste sporadique. Elle est apparue au XI ème siècle, mais son adoption prendra trois siècles.

De fait, ainsi que l’a analysé Jacques Le Goff, la pratique du numéro s’organise à la fin du XIII ème, « un siècle de classement et de mise en oeuvre ». Saint Louis est  pour ses sujets le roi Louis, et non Louis IX. Et pourtant ce fut lui qui fit en sorte que les chroniques relatant l’histoire des peuples soient regroupées en un seul corpus qui deviendra Les Grandes Chroniques de France. L’Histoire officielle est née, et elle est écrite en français, place à la rationalisation et à la numérotation. Donc toute numérotation des rois antérieurs est une reconstitution bien postérieure à leur règne.

Toutefois l’entreprise de classement du XIII ème n’explique pas tout. Comment en arrive-t’on à ces lignées d’Henry, de Charles et de Louis, au détriment des Pépin, Childebert, Carloman Gontran, Charibert et Lothaire? La dynastie mérovingienne foisonne de prénoms. Toutefois l’époque mérovingienne n’est pas à la tradition, mais aux successions violentes, et à l’éparpillement. Dans cette lignée 38 garçons premiers nés, 21 prénoms différents, et aucun porté plus de 3 fois.
C’est avec les Capétiens que s’instaure l’habitude de prénommer l’ainé du nom de son grand-père. Mais, fait paradoxal, c’est un prénom attaché à la famille carolingienne, Louis, que Philippe 1er choisit pour son fils ainé. Michel-André Lévy l’explique par le prestige qui était encore attaché à cette famille. Et au cadet revient l’héritage du prénom Philippe. S’ ensuit une succession de Louis et de Philippe, jusqu’aux Rois Maudits.

Mais la construction de l’illusion de la continuité ne s’arrête pas là. Se placer en continuateurs des Carolingiens ne suffit pas aux Capétiens. La restructuration des tombeaux des Mérovingiens par Saint Louis, puis Philippe le Bel se double d’une restauration des symboles de la royauté, et fera (ré)apparaître la symbolique des fleurs de lys, envoyées selon la légende à Clovis.  Et de transformation en transformation, Clovis, « prince fourbe et sanguinaire »- souvenons-nous du vase de Soissons- devient un « combattant héroïque et chevaleresque », « l’archétype du roi chrétien »comme le souligne Colette Beaune.
Foisonnant de références, l’essai de Michel-André Lévy se lit comme un roman. L’ humour s’y mêle à l’érudition, et c’est avec un véritable talent de conteur qu’il nous entraine sur les traces des rois, sans oublier de livrer une savoureuse anthologie des sobriquets de toutes ces têtes couronnées.
Dominique Grimardia
Michel-André Lévy, Louis I,II, III…XIV… L’étonnante histoire de la numérotation des rois de France, éditions Jourdan, 267 pages.

 

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